Discours Chataigner 14 juillet 2010
Discours de Jean-Marc Châtaigner, Ambassadeur de France à Madagascar 14 Juillet 2010
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Faly miarahaba anareo rehetra tonga eto. Misaotra tompoko. Miala tsiny rahatoa ka tsy dia mety loatra ny teny malagasiko.
Je suis très heureux de vous accueillir à la résidence de France pour ce 14 juillet, date de la fête nationale française, mais aussi journée de liberté, héritière de la tradition des Lumières, qui fait désormais partie du patrimoine commun de l'humanité, symbolisant le renversement de toutes les tyrannies.
Nous fêtons cette année ce 14 juillet à Madagascar dans un contexte particulier, marqué par bien des interrogations et des doutes, avec les événements difficiles intervenus depuis quelques mois. J'ai bien sûr une pensée émue pour les dizaines de civils innocents tués devant le Palais Présidentiel le 7 février 2009 et plus largement pour toutes les victimes de cette crise politique, toutes celles qui ont souffert, qui ont perdu un de leurs proches ou qui ont subi des exactions. Le pardon, qui viendra le jour venu, ne devra pas exclure la justice. Si un appui international est nécessaire pour établir la vérité, il devra être sollicité.
Arrivé à Madagascar depuis seulement quatre mois, je crois que je serais bien mal placé pour démêler toutes les responsabilités dans les origines de cette crise. Je n'aurai pas cette arrogance. Il est trop facile de chercher la paille dans l'œil du voisin sans voir la poutre dans le sien. Pour ce qui est de notre poutre, je pense que la communauté internationale devra aussi s'interroger sur les positions qu'elle a prises ou plutôt qu'elle n'a pas prises dans les années passées. Pourquoi sommes-nous restés silencieux lorsque les choses ont commencé à se détériorer après l'immense espoir populaire de 2002 ? Pourquoi nos institutions financières internationales n'ont-elles rien dit lorsque l'Etat a favorisé les intérêts d'un grand monopole privé et lui a accordé des avantages indus par rapport à ses concurrents ? Pourquoi la communauté diplomatique n'a t'elle pas protesté, ou pas assez énergiquement, lorsque les atteintes à l'Etat de droit se sont multipliées, avec des emprisonnements et des expulsions arbitraires, des entraves mises à la liberté de la presse et d'expression, lorsque la peur a gagné les cœurs ? Si nous avions parlé plus fort, si nous n'avions pas accordé un crédit excessif aux bonnes paroles technocratiques qui nous étaient prodiguées, si nous avions décidé de suspendre plus tôt nos aides budgétaires, si nous avions été réellement exigeants et rigoureux dans la vérification des comptes publics et la dénonciation de tous les conflits d'intérêt, peut être ces dérives ne se seraient-elles pas produites, peut être les dirigeants d'alors nous remercieraient-ils pour notre franchise et les conseils donnés. Peut être Madagascar aurait-elle pu continuer son développement sur de bons rails et affronter la crise économique mondiale dans de meilleures conditions.
Il ne sert à rien d'épiloguer à l'infini sur le passé et les enchaînements malheureux de circonstances qui ont eu lieu et sur lesquels on ne peut plus revenir. On ne doit pas non plus chercher systématiquement des excuses dans le passé pour les erreurs qui seraient commises maintenant. Le respect de l'Etat de droit, le respect de toutes les libertés publiques, le respect de la liberté de la presse, le respect de la séparation des pouvoirs et le respect de de l'indépendance de la justice sont autant de principes fondamentaux sur lesquels personne ne peut transiger. Selon une très vieille expression française qu'affectionnait ma grand-mère normande et que Georges Brassens citait dans l'une de ses chansons, il ne faut jamais « grêler sur le persil », il ne faut jamais abuser de son pouvoir sur les plus faibles… Les opposants d'hier assument aujourd'hui des responsabilités. Ils ont le lourd devoir moral de s'assurer qu'aucun de ces droits ne puisse être bafoué. Ils ont l'immense responsabilité, vis-à-vis de la jeunesse de ce pays et des générations à venir, de ne pas faire subir ce qu'eux-mêmes ont subi et d'encadrer et de limiter strictement toutes les procédures d'exception. Des recommandations viennent d'être faites dans ce sens par Amnesty International qui peuvent être rapidement mises en œuvre. Je forme également le souhait que les procédures judiciaires engagées contre certaines personnalités et des parlementaires puissent déboucher dans les plus brefs délais pour que ces derniers puissent s'expliquer sur les faits qui leur sont reprochés et que ceux qui sont privés de liberté ne restent pas indéfiniment en détention préventive.
Madagascar doit maintenant se tourner résolument vers son avenir, construire la maison démocratique malgache dans laquelle tous les enfants du pays seront fiers de vivre, d'aller à l'école, de travailler, de fonder leurs familles et de participer à un développement équitable et durable. Je sais qu'on attend beaucoup de la communauté internationale pour qu'elle aide à construire cette maison démocratique, qu'elle en fournisse les matériaux, qu'elle mette à disposition des charpentiers et des ouvriers. Je vais vous le dire très franchement : ce serait-là une solution de facilité. C'est au peuple malgache de construire cette maison démocratique à l'instar du « tranobe » dans la tradition malgache. Les pays amis de Madagascar et les organisations internationales présentes dans la Grande Ile sont simplement là pour veiller que le permis de construire de la maison réponde bien aux normes et conventions internationales. Nous sommes là pour aider Madagascar à bien respecter les engagements pris en faveur de la démocratie et du respect des droits de l'homme, engagements que Madagascar a librement et souverainement souscrits. Nous sommes là pour prévenir une construction de la maison qui prendrait un tour trop unilatéral ou bancal. Nous pouvons vous aider à éviter que la maison ne s'écroule à un prochain passage de cyclone, mais je le répète, avec conviction, nous ne pouvons pas être là pour construire cette maison démocratique à votre place. Seuls les malgaches peuvent être les architectes et les bâtisseurs du nouvel ordre constitutionnel que vous souhaitez tous.
Si j'en viens aux règles de ce permis de construire, je dois vous dire qu'elles sont très simples. La communauté internationale est prête à accepter tout plan de construction recueillant l'assentiment des principales mouvances politiques malgaches, sous la forme d'un accord politique « inclusif », c'est-à-dire d'un accord dans lequel l'immense majorité des malgaches puisse se reconnaître. Il ne s'agit pas de se mettre d'accord sur tout, sur l'avenir et les projets de Madagascar pour la décennie à venir.. Il s'agit simplement de se mettre d'accord sur des règles du jeu acceptables par tous pour que la compétition démocratique soit ouverte, libre et transparente et que chacun puisse faire valoir son programme et ses idées. Il s'agit de se mettre d'accord sur une gestion de la transition dans laquelle toutes les sensibilités politiques puissent se reconnaître et y avoir leur place, si elles le souhaitent. Un moyen simple d'assurer un meilleur équilibre des pouvoirs pourrait être ainsi de rétablir pendant la période de transition un Congrès, exerçant la fonction législative et réunissant députés, sénateurs élus et membres désignés par la HAT et les mouvances politiques. Il s'agit de se mettre d'accord sur la tenue du referendum réformant la constitution, sur un calendrier d'élections et les conditions d'organisation de celles-ci, de se mettre d'accord sur la mise en place d'une Commission Nationale Electorale Indépendante, de se mettre d'accord sur la façon de garantir la neutralité et l'impartialité de l'administration dans la campagne électorale, de se mettre d'accord sur la révision du code et des listes électorales. Et puis d'y aller, de jouer le jeu démocratique, il y aura des gagnants, des perdants, qui tous pourront méditer la définition de la démocratie d'Aristote, « une des marques de la liberté, c'est d'être tour à tour gouvernant et gouverné ». Et dans tout cela, allez-vous me dire, quelle est la position de la France ? Eh bien, la position de la France, comme celle de l'Union Européenne, est simple, c'est celle de l'ONU, c'est celle de l'Union Africaine, c'est celle de la SADC, c'est celle de l'Organisation Internationale de la Francophonie, c'est celle de la communauté internationale exprimée lors du Groupe International de Contact à Addis Abeba le 30 avril dernier, c'est celle justement de cet appui à une solution politique malgache « inclusive » pour gérer la transition vers le rétablissement d'un nouvel ordre constitutionnel. Tout le reste n'est que littérature. On me demande ainsi souvent si la France reconnaît le gouvernement de la Haute-Autorité de Transition. Ma réponse est simple : la France ne reconnaît pas les gouvernements, elle ne reconnait donc pas plus celui-ci que le précédent ou le prochain ; la France reconnaît les Etats, donc elle reconnaît Madagascar. La France est totalement solidaire de la communauté internationale pour dire à la HAT et aux mouvances politiques malgaches qu'une sortie de crise entièrement unilatérale créerait plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait. C'est encore le message que la Présidence suédoise de l'Union européenne, dont je salue ici la présence de l'Ambassadrice Lundt, et la Commission européenne ont répété à la HAT la semaine dernière lors de l'ouverture du dialogue de l'article 96. Je suis confiant dans le fait que ce message sera entendu par tous les responsables politiques malgaches. Ceux qui, ici ou là-bas, refuseraient la négociation politique s'en excluraient. Ceux qui, ici ou là-bas, continueraient à poser des préalables à la reprise de la négociation s'en excluraient. Ceux qui, ici ou là-bas, envisageraient un recours à la force ou à toute forme de violence pour reprendre le pouvoir s'en excluraient.
La France a fait le choix national de poursuivre ses programmes de coopération, en accentuant leur dimension sociale et humanitaire, conformément aux recommandations du communiqué d'Addis Abeba du 30 avril 2009, parce que nous estimons essentiel que la population malgache, qui est une des plus pauvres au monde, ne soit pas la première à souffrir des conséquences de la suspension des aides. La lutte contre la pauvreté, la scolarisation des enfants dans les écoles, l'accès des femmes aux services de soins de base, la lutte contre le SIDA et les maladies endémiques, la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement sont des objectifs si cruciaux, pour vous, pour nous, pour l'humanité, qu'il paraît très difficile, éthiquement et moralement, de les lier au sort de négociations politiques. Mais le maintien de cette coopération avec l'Etat malgache ne pourra là encore se faire dans la durée, à travers notamment l'identification et l'instruction de nouvelles opérations, que si un chemin consensuel vers un nouvel ordre constitutionnel se dégage.
Je ne peux évidemment passer sous silence les multiples accusations dont mon pays a fait l'objet ces derniers mois. Ces accusations faites d'insinuations sans fondement, d'interprétations malveillantes, de rumeurs absurdes, sont aussi excessives qu'insignifiantes. Elles ne mériteraient qu'un profond mépris si elles n'avaient pas été reprises à leur compte par certains hommes politiques. Je veux croire pour ces derniers que leurs paroles, prononcées sous le coup de l'énervement et de la colère, toujours mauvaise conseillère, ont trahi les pensées de leurs auteurs. Je remercie d'ailleurs les nombreux anciens Ministres ou parlementaires qui ont tenu à me présenter leurs excuses personnelles pour des propos qu'ils estimaient déplacés. Je le rappelle avec la plus grande solennité : la France ne peut être indifférente à ce qui se passe à Madagascar, mais elle s'interdit bien évidemment toute forme d'ingérence dans les affaires d'un Etat partenaire et souverain. Nos relations bilatérales, forgées par l'histoire commune, toujours dans un très grand respect mutuel, sont d'une densité exceptionnelle : 22 à 25 000 français, dont un grand nombre de binationaux vivent à Madagascar ; 70 à 80 000 malgaches ou franco-malgaches vivent en France ; 13 000 élèves, dont 7 000 malgaches, fréquentent les écoles françaises de Madagascar ; les entreprises françaises investissant à Madagascar se comptent par centaines, pratiquement toujours dans le cadre de partenariats avec des actionnaires ou des intérêts malgaches ; à travers la Réunion et Mayotte, nous maintenons une grande relation de voisinage ; 20 000 malgaches se rendent en France chaque année, avec un taux d'agrément pour les visas de plus de 86 %. Dans ce cadre, nos intérêts partagés pour l'avenir de Madagascar ne peuvent être que d'une transparence totale : la paix, la stabilité, une vraie gouvernance démocratique dans laquelle tous les malgaches puissent se reconnaître, le développement économique pour que nos échanges commerciaux puissent s'accroître dans les deux sens, l'ouverture de la grande île à tous les investissements étrangers. Dans le monde d'aujourd'hui, on ne peut plus raisonner en termes nationalistes ou protectionnistes. Chaque fois qu'une entreprise s'implante à Madagascar, qu'elle soit d'origine canadienne, américaine, réunionnaise ou asiatique, elle va créer de la richesse, créer des emplois, faire travailler des entreprises sous-traitantes de toutes origines. Aucun développement durable n'est possible sans la participation du secteur privé dans le cadre de règles équitables et saines de concurrence et le respect des contrats signés. Le développement de Madagascar passe par son ouverture sur le monde, son intégration économique régionale dans des organisations comme la Commission de l'Océan Indien (COI) ou la SADC pour la conquête de nouveaux marchés, la poursuite d'accords commerciaux stratégiques comme l'AGOA avec les Etats-Unis et l'Accord de Partenariat Economique avec l'Union Européenne.
Je souhaiterai à cette occasion remercier la communauté française pour la responsabilité dont elle a su faire preuve dans les moments difficiles du début d'année, gardant toujours son calme, ne cédant jamais à l'alarmisme ou à l'affolement. Je voudrais particulièrement saluer tous les responsables, élus, chefs d'îlots, représentants d'associations et d'institutions, collègues des Ambassades amies et consuls honoraires qui ont travaillé solidairement avec cette Ambassade et notre Consulat général dans le souci d'assurer la sécurité de tous. J'adresse enfin toutes mes félicitations aux conseillers élus ou réélus en juin dernier à l'Assemblée des Français de l'Etranger en leur souhaitant plein succès dans leur nouveau mandat et je remercie les conseillers sortants pour le travail réalisé.
Je ne pourrais terminer cette intervention sans vous faire partager l'énorme note d'espoir que j'ai ressentie en arrivant à Madagascar. Cette note d'espoir, je voudrais vous dire que je l'ai trouvée chez tous les Malgaches que j'ai rencontrés depuis mon arrivée ici, quels que soient leurs horizons, leurs origines, leurs idées politiques, c'est le désir de changer les choses, de transformer Madagascar, de croire dans Madagascar. Cette note d'espoir, je l'ai trouvée chez les paysans de l'Itashi qui m'ont décrit leurs investissements pour améliorer leurs revenus et envoyer leurs enfants à l'école. Cette note d'espoir, je l'ai trouvée chez les familles et les enfants du père Pedro, dans les écoles françaises de Tananarive, à l'école de la Communauté Bora, dans les écoles du Sud du pays ou des quartiers les plus pauvres de la capitale, c'est la soif partout d'apprendre, de comprendre, de découvrir, de s'élever par l'éducation. Cette note d'espoir, je l'ai trouvée en visitant de nombreuses entreprises malgaches et franco-malgaches, où personne ne m'a dit malgré les difficultés « nous allons fermer et partir », mais bien au contraire « on veut y croire et investir : aidez-nous à convaincre nos responsables politiques à comprendre les vrais enjeux ». Cette note d'espoir, je l'ai trouvée chez un des parlementaires arrêtés en avril dernier qui, lorsque je l'ai rencontré en prison, m'a dit « la première chose que je ferai en sortant d'ici, c'est de proposer une loi pour améliorer le sort de tous les malgaches qui doivent aller en prison pour qu'ils n'y connaissent plus les mêmes conditions indignes ». Cette note d'espoir, je l'ai trouvée chez tous les responsables d'ONG, le plus souvent malgaches, qui interviennent à Madagascar et qui m'ont dit leur conviction que les choses ne pouvaient pas rester en l'état, que l'on ne pouvait pas laisser la misère l'emporter sur l'homme. Je formule le vœu que tous ces espoirs se concrétisent pour le 50ème anniversaire de l'Indépendance de Madagascar en 2010 !
Je me rends compte à la fin de ce discours que je n'ai pas parlé de beaucoup d'autres sujets qui préoccupent le monde, de la crise financière mondiale et de son impact pour la France, auquel notre Gouvernement fait face avec détermination sous la conduite du Président Nicolas Sarkozy et du Premier ministre François Fillon, des troubles qui sont apparus en Iran ou en Chine, de la menace que continue à faire peser la Corée du Nord sur les relations internationales… Ce sont aussi des sujets graves et importants et j'espère que vous m'excuserez de ne pas les évoquer plus longuement, mais je pense que vous êtes maintenant tous pressés, comme je le suis, de lever nos verres, à Madagascar, à la France, à l'amitié franco-malgache !