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Tuerie à Ambohitsorohitra : les vraies questions éludées

Madonline


Un procès marathon en deux jours, des débats nocturne et un verdict rendu au petit matin, les droits de la défense et la procédure quelque peu ignorées, la lumière n’a pas été faite sur ce triste événement qui a coûté la vie à au moins 30 personnes. Si la condamnation du président évincé Marc Ravalomanana a été prononcée par la Cour criminelle ordinaire, les vraies questions n’ont pas été posées pour que de telle tragédie ne puisse se reproduire à l’avenir.
Le 07 février 2009 a été le remake dans un autre décor et avec de nouveaux acteurs de la tragédie d’Iavoloha, le 10 août 1991. Dix huit ans après, les politiciens désireux de prendre le pouvoir ont une nouvelle fois mené la foule pour prendre possession du palais présidentiel. En 2009, c’est le premier ministre du gouvernement de la rue qui a conduit les manifestants à Ambohitsorohitra alors que l’autoproclamé chef de l’Etat lui a ordonné de prendre le palais, sous prétexte qu’en tant que maire d’Antananarivo, il a la prérogative de le faire – le bâtiment étant un patrimoine de la mairie.

La vraie question est donc : la foule peut-elle prendre possession d’un palais présidentiel et de surcroit installer un premier ministre illégal, du moins au moment de fait. Apparemment oui.  A aucun moment, la justice n’a inquiété les auteurs de cette tentative de coup d’Etat qui a un premier temps échoué. Certes, Andry Rajoelina lui-même a affirmé que les manifestants étaient venus prendre un bâtiment et que le locataire ne s’y trouvait pas. A l’époque, il était déjà le président autoproclamé de la Haute autorité de la transition.

La question de la légitime défense d’un palais d’Etat se pose aussi. Les partisans de l’ancien maire d’Antananarivo a déjà fait preuve de violence quelques jours auparavant en détruisant et en incendiant la télévision et la radio nationale, la radio et la télévision MBS, quelques maisons appartenant à des proches du pouvoir. Quand ils viennent prendre le palais d’Ambohitsorohitra, toutes les craintes sont légitimes.

Les coups de feu ont éclaté quand quelques dizaines de manifestants aux premiers rangs se sont rués vers le portail du palais se trouvant à une dizaine de mètres. Alors que les gens prenaient la fuite, un homme crie des ordres devant les caméras. « Ne laissez pas les gens reculer, il faut qu’ils avancent » et voilà que l’homme en question sera plus tard le porte étendard des victimes et de leur famille. En tout cas, il faut s’en tenir à la décision de justice qui a écarté la thèse d’une provocation de répression sanglante pour entacher la réputation du pouvoir et du président de la République en premier.
Marc Ravalomanana a été plutôt confiant dans le dossier 07 février, persuadé de n’avoir rien à se reprocher. Il a demandé une enquête internationale indépendante. Pour sa défense, le président évincé a affirmé que les tirs venant du palais n’étaient que de sommation. Le rapport des militaires présents ce jour là faisait part de 18 projectiles tirés de l’intérieur. Ce qui signifie que les tireurs ont été postés en dehors du palais. La thèse des tirs croisés venant des hauteurs des bâtiments longeant la rue où les manifestants étaient pris aux pièges a été révélée par de nombreux témoins. Mais n’étaient-ils que deux ? Andry Rajoelina ému aux larmes avait dénoncé à l’époque une véritable embuscade donc une intention évidente de faucher des vies.

Si l’on se réfère au verdict, il n’y avait que deux tireurs, les gendarmes Fikisy et Ikotokely qui, de leur propre initiative, seraient sortis du rang pour aller tirer sur les manifestants. Pour l’avocat des victimes, ces deux criminels « ont agi de leur propre chef mais sous les ordres (sic), sans qu’il n’y ait de véritable pression ». Les officiers censés avoir passé les ordres ont été symboliquement condamnés à deux ans avec sursis. Les militaires présents au palais et qui affirmaient ne pas avoir tiré délibérément sur la foule sont relaxés au bénéfice du doute.

Les seuls coupables avec les deux tireurs reconnus sont donc le président Ravalomanana et le général Raoelina chargé de sécuriser le palais pour complicité, tous condamnés aux travaux forcés à perpétuité. On ne saura pas si la justice a reçu la preuve que Marc Ravalomanana a donné l’ordre de tirer. Dans l’affaire 10 août 1998, le monde entier avait entendu l’enregistrement radio de la voix de l’Amiral Ratsiraka donnant l’ordre de tirer sur une voiture noire et dans les jambes des manifestants.

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